alice rivaz
Née en 1901, Alice Rivaz passe son enfance à Rovray, dans le canton de Vaud, où son père, Paul Golay, futur militant socialiste et juriste, est instituteur. La passion de la musique marque ses années d’adolescence : à seize ans, elle entre au Conservatoire de Lausanne, où elle obtient un diplôme d’enseignement du piano. Consciente de la précarité que représente le métier de professeur de musique, Alice Rivaz suit une formation rapide de sténographie. En 1925, elle est engagée par le Bureau international du Travail (BIT) à Genève, où elle accomplira toute sa carrière.
Durant la Deuxième Guerre mondiale, Alice Rivaz se trouve au chômage, car le siège du BIT est momentanément déplacé à Montréal. Elle profite de ce congé forcé pour publier trois romans: Nuages dans la main (1940), Comme le sable (1946) et La Paix des ruches (1947), qui ont pour cadre les institutions internationales genevoises.
Une fois la guerre terminée, Alice Rivaz reprend un emploi au BIT. Une vie professionnelle astreignante, ainsi que la charge de sa mère, âgée et malade, empêchent tout nouveau projet littéraire. Ce n’est qu’au moment de sa retraite, en 1959, qu’elle pourra se consacrer entièrement à l’écriture. Entre sa soixantième et sa huitantième année paraissent deux romans : Le Creux de la vague (1967) et Jette ton pain (1979), ainsi que deux recueils de nouvelles : Sans alcool (1961) et De mémoire et d’oubli (1973). Les thèmes de la solitude, de l’angoisse du vieillissement, de l’impossibilité de l’amour et de la vocation manquée, qui traversent son œuvre de fiction, se retrouvent dans les textes autobiographiques de la maturité, par exemple dans Comptez vos jours (1986) et dans Traces de vie (1983).
Alice Rivaz est morte en 1998 à Genève.
« Elle avait jeté un dernier coup d’œil à la glace, puis, au vestiaire, avait enfermé son manteau dans un minuscule placard qui portait son nom sur une étiquette. Car tout était étiqueté dans cette administration. Bientôt, comme disait Marion Bréat, on leur collerait une petite pancarte sur le dos avec leur nom et peut-être même un numéro. On ne portait pas encore d’uniforme, mais cela finirait bien par arriver. Déjà, Mme Fontanier vous appelait par votre nom de famille, comme des hommes au service militaire. “ Rivier, foutez-moi le camp d’ici ! ” Se ferait-elle jamais à ce style ? Les autres s’y habituaient pour la plupart, car elles semblaient se faire docilement à tant de choses, dans cette vie de bureau, auxquelles elle-même ne s’habituerait probablement jamais : ainsi, par exemple, à rencontrer dans les rues de la ville des messieurs-collègues qui tournaient la tête pour ne pas vous saluer, alors qu’ils vous avaient dicté un rapport le matin même, ou qui, s’ils condescendaient à s’apercevoir de votre présence, se contentaient alors d’une simple lueur intelligible de l’œil, d’un mouvement des lèvres, sans prendre la peine de lever leur chapeau, à moins que vous ne fussiez une femme mariée. Comme si, dans leur façon de concevoir l’échelle des valeurs sociales et humaines, une dactylographe mariée était légèrement d’un rang supérieur à une dactylographe qui ne l’était pas. C’étaient les mêmes messieurs qui, dans les couloirs du bureau, passaient devant leurs collègues femmes sans s’excuser, ou leur lançaient les portes au visage. »
Alice Rivaz, Comme le sable (Paris, Julliard, 1946, pp, 225-226).
« Mais puisque la voici enfin devant sa machine à écrire, dans sa chambre-cabine, sur le versant ouest de sa vie, protégée des importuns par une gomme glissée dans son appareil téléphonique et par des portes qu’elle n’ouvrira as si on y frappe, laissons-là à ce travail qu’enfin elle commence. Pourquoi ? Parce qu’il le faut, dit-elle à son tour (comme P.R.) Car, après moisson finie, blé vanné et engrangé, vient le moment de moudre le grain, puis de pétrir et cuire son pain, quitte à jeter ce pain “ sur la face des eaux ”, selon la parole de la Bible, si belle et énigmatique. »
Alice Rivaz, Jette ton pain (Vevey, Bertil Galland, 1979, p. 230).
« Aujourd’hui encore après plus de trente-cinq années, je continue d’entretenir des rapports ambigus avec ce moi second qui porte un nom qui n’est pas le mien, prétend assumer toute une partie de ma vie (ne l’en ai-je pas expressément chargé?), me vole mes souvenirs pour les triturer à sa guise, ce qui ne va pas sans bagarres entre les deux parties en cause, lesquelles s’efforcent tour à tour de réduire l’autre au silence.
Signer des livres d’un pseudonyme, c’est avouer au départ une dualité foncière entre le désir de se cacher et celui de se montrer laquelle ne peut que s’aggraver encore par ce port d’un masque. »
Alice Rivaz, Ce nom qui n’est pas le mien (Vevey, Bertil Galland, 1980, p. 150).
ŒUVRES
Nuages dans la main, Lausanne, La Guilde du Livre, 1940 (rééd. Lausanne, L’Aire, 1987).
Comme le sable, Paris, Julliard, 1946 (rééd. Vevey, L’Aire bleue, 1996).
La Paix des ruches, Paris et Fribourg, LUF, 1947 (rééd. Poche suisse n°35, 1984 ; Vevey, L’Aire bleue 1999).
Sans alcool, Boudry, La Baconnière, 1961 (rééd. Genève, Zoé, 1998).
Comptez vos jours, Paris, Corti, 1966 (rééd. Poche suisse n° 35, 1984).
Le Creux de la vague, Lausanne, L’Aire/Rencontre, 1967 (rééd. Vevey, L’Aire bleue, 1999).
L’Alphabet du matin, Lausanne, L’Aire/Rencontre, 1968 (rééd. Vevey, L’Aire, 2002).
De mémoire et d’oubli, Vevey, L’Aire, 1973 et 1992.
Jette ton pain, Vevey, Bertil Galland, 1979 (rééd. Vevey, L’Aire, 1997).
Ce nom qui n’est pas le mien, Vevey, Bertil Galland, 1980 (rééd. Vevey, L’Aire bleue, 1998).
Traces de vie, Carnets 1939-1972, Vevey, Bertil Galland, 1983 (rééd. Vevey, L’Aire, 1998).
Jean-Georges Lossier, Poésie et vie intérieure, Fribourg, Editions universitaires, 1986.
Creuser des puits dans le désert, Lettres à Jean-Claude Fontanet, Genève, Zoé, 2001.
Pierre Girard/Alice Rivaz, Les Enveloppes bleues, Correspondance 1944-1951, Genève, Zoé, 2005.
Alice Rivaz/Jean-Georges Lossier, Pourquoi serions-nous heureux?, Correspondance 1945-1982, Genève, Zoé, 2008.
À CONSULTER
Françoise Fornerod, Alice Rivaz pêcheuse et bergère de mots, Genève, Zoé, 1998.
Françoise Fornerod, Le Temps d’Alice Rivaz, Genève, Zoé, 2002.
Roger-Louis Junod, Alice Rivaz, Fribourg, Editions universitaires, 1980.
Ecriture 17 (1982); Ecriture 48 (1996); Ecriture 57 (2001).
Quarto, revue des Archives littéraires suisses (ALS) 17 (novembre 2002).